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« La Suède offre un cas particulièrement intéressant de planification écologique »

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Une TRIBUNE de Wojtek Kalinowski, Codirecteur de l’Institut Veblen pour les réformes économiques,  publiée dans LE MONDE, le 27 avril 2022.

Emmanuel Macron a récemment pris position en faveur de la planification écologique. Dans une tribune au « Monde », le sociologue et économiste Wojtek Kalinowski rappelle que la Suède est particulièrement à la pointe sur ce sujet, ce qui lui permet d’avoir l’un des meilleurs bilans en Europe en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Emmanuel Macron a fini par reprendre à son compte la grande idée de la planification écologique en annonçant, entre les deux tours de l’élection présidentielle, qu’il confierait la tâche à son prochain chef de gouvernement. L’initiative est salutaire et le président en campagne a pointé en creux un problème central de la gouvernance française : son incapacité à garantir une politique cohérente, visible sur le plan climatique comme sur d’autres. La situation semble presque plus alarmante encore en matière de protection de la biodiversité, où l’Etat français agit comme s’il ne voulait surtout pas poursuivre les objectifs qu’il s’est lui-même fixés, selon le grand spécialiste de la question, Harold Levrel.

Désormais réélu, Emmanuel Macron saura-t-il sortir de cette impasse et à quoi pourrait ressembler concrètement cette planification écologique ? Le débat français puise tout naturellement dans les références historiques au « Plan » des décennies d’après-guerre, mais la planification écologique devient aujourd’hui une tendance plus générale en Europe et la France pourrait utilement s’inspirer des exemples récents venus des Pays-Bas ou des pays scandinaves.

La Suède offre, à cet égard, un cas particulièrement intéressant. Fort d’un bilan parmi les meilleurs en Europe en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre territoriales, le pays s’apprête actuellement à adopter une loi climatique plus complète que la précédente. Elle couvrira non seulement les émissions territoriales mais aussi l’empreinte climatique globale des Suédois, en y incluant l’impact des importations.

Soutenue par une large majorité transpartisane au Parlement, la proposition de loi va bien plus loin sur certains points, en retenant des objectifs de réduction ambitieux pour le trafic aérien par exemple. Elle demande au passage à l’agence statistique nationale de produire et rendre publiques les données sur les impacts de la consommation et des exportations. Plus controversé, le choix de tenir compte de « l’utilité climatique des exportations » mériterait sans doute un vrai débat. Grand pays exportateur, la Suède prétend que ses produits contribuent à décarboner de nombreux procédés industriels et des infrastructures des pays acheteurs – à l’instar de l’acier suédois, produit désormais sans énergie fossile, une première mondiale.

Vision d’ensemble

La nouvelle loi suédoise fait ainsi un pas de plus vers la cohérence des politiques publiques. En parallèle, le pays s’apprête à consolider son architecture institutionnelle de la planification. Depuis 2015 déjà, le Conseil des objectifs environnementaux (« Miljömålsrådet ») suédois assure le suivi et l’évaluation des politiques publiques, veillant notamment à traiter les conflits qui peuvent émerger entre des objectifs contradictoires, cherchant à rétablir la cohérence et défendant une vision d’ensemble contre les intérêts sectoriels.

Aujourd’hui la Suède veut aller plus loin en mettant en place un « conseil de planification » (« Råd för samhällsplanering ») pour mieux « interpréter, expliciter et coordonner » les objectifs nationaux. Il s’agit notamment de renforcer la capacité de l’Etat à analyser les conséquences physiques et spatiales des différents arbitrages politiques, à coordonner les investissements, à créer un forum de dialogue permanent entre tous les acteurs publics et privés concernés par la planification.

Si la Suède n’a pas connu le Plan « à la française », elle a toujours mélangé l’ouverture économique avec la planification dans de nombreux domaines. L’extraordinaire modernisation de l’industrie suédoise à l’époque des « trente glorieuses » n’aura été possible que grâce à la planification des besoins de formation et de requalification menée localement par des agences d’emploi déployées sur le terrain et dotées d’une très grande autonomie financière et de gestion. Un autre exemple souvent évoqué concerne l’offre dans les domaines de la santé publique et des soins aux personnes âgées, où les agences régionales et les municipalités ont toujours planifié elles-mêmes les besoins et décidaient combien de médecins ou d’établissements il leur fallait sur leur territoire.

Décentralisation

On le voit, la planification à la suédoise a souvent été une affaire décentralisée, le rôle de l’Etat central se limitant à définir les obligations de résultat et à offrir des financements appropriés. Ce fut également le cas de la décarbonation massive du chauffage urbain qui, couplé avec la rénovation thermique menée elle aussi de front depuis les années 1980, a fait quasiment disparaître le chauffage au fioul, au GPL et au gaz. La différence avec la France ne se situe pas tant au niveau des ressources ; la France possède elle aussi de nombreux gisements d’économies d’énergie et un grand potentiel de sources alternatives. Simplement, en Suède, la puissance publique met en œuvre elle-même la planification là où l’Etat français s’appuie sur des politiques incitatives peu efficaces, comme le crédit d’impôt ou le chèque énergie.

A l’échelle macroéconomique, la Suède a prouvé qu’une taxe carbone pouvait faire l’objet d’une acceptation sociale et contribuer à la performance économique. Introduite à un niveau bas en 1991 (25 euros), cette taxe a été progressivement relevée pour atteindre le niveau le plus élevé du monde (120 euros actuellement), en poussant très tôt les entreprises suédoises à anticiper le changement. A elle seule, l’histoire de la taxe carbone suédoise illustre la capacité de l’Etat à choisir un cap et à s’y tenir, sans comparaison avec la politique erratique française.

Cette différence d’approche n’est pas le résultat d’une donnée culturelle innée, mais plutôt de nos modèles démocratiques respectifs. Moins écrasée par le poids de l’exécutif, la démocratie suédoise donne plus de place au Parlement et aux compromis transpartisans. Si elle a besoin de plus de temps pour négocier les réformes en amont, elle finit par avancer plus vite et plus loin.

Wojtek Kalinowski est sociologue et économiste. Il est codirecteur de l’Institut Veblen pour les réformes économiques, un think tank consacré aux politiques publiques et aux innovations sociales de la transition écologique. Il a codirigé avec Mathilde Dupré, Jézabel Couppey-Soubeyran et Dominique Méda « 2030, c’est demain ! Un programme de transformation sociale-écologique » (Institut Veblen/Les Petits Matins, 256 pages, 18 euros, à paraître le 19 mai).
Wojtek Kalinowski (Codirecteur de l’Institut Veblen pour les réformes économiques) 


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